Grain de Pouvoir-Là où tout commence

En RDC, l’assiette est un champ de bataille : entre abondance et faim, c’est notre souveraineté qui se joue.

Robby Kasonga

3/28/20255 min temps de lecture

Un quart du pays dans la faim

Entre janvier et juin 2025, près de 27,7 millions de Congolais — soit 24 % de la population — vivent dans une insécurité alimentaire aiguë. Parmi eux, 3,9 millions sont en situation d’urgence (Phase 4 de l’IPC), exposés à une faim qui met directement leur vie en danger. Ces chiffres horribles à lire ne sortent pas d’un pamphlet militant qui veut faire sensation : ils sont issus du dernier rapport officiel de l’IPC (Integrated Food Security Phase Classification), validé par la FAO et le PAM. Comment expliquer qu’un pays aux terres parmi les plus fertiles du monde laisse un quart de ses habitants dans la faim ? Comment comprendre qu’au cœur de l’Afrique, à la source du fleuve Congo, nous soyons incapables de remplir toutes nos assiettes ? votre avis compte, vos témoignages, écrivez-nous.

Le paradoxe congolais… et universel

La République démocratique du Congo est un géant agricole qui dort. Plus de 80 millions d’hectares de terres arables, des ressources hydriques colossales, une biodiversité d’exception. Et pourtant, il importe une part importante de sa nourriture. En 2025 encore, le pain quotidien de millions de Congolais dépend de cargaisons de maïs venues d’Afrique australe.

Ce paradoxe n’est pas seulement congolais. La FAO rappelle que dans le monde, près de 735 millions de personnes souffrent encore de la faim chronique, alors même que la planète produit assez de calories pour nourrir tout le monde.

Mais ici, le paradoxe prend une forme brutale. Car la faim ne découle pas d’un manque absolu, mais de la désorganisation d’un système alimentaire fragilisé par quatre facteurs :

by Matthias Lipinski in pixabay
by Matthias Lipinski in pixabay
  • Conflits armés : plus de 7,8 millions de déplacés internes en 2025, dont beaucoup n’ont plus accès à leurs champs.

  • Chocs économiques : fermetures de banques à Goma et Bukavu, flambée des prix alimentaires (+2,2 % du panier de base en un mois).

  • Infrastructures délabrées : routes impraticables, marchés inondés, absence de chaîne du froid.

  • Climat instable : pluies torrentielles, glissements de terrain, maladies hydriques.

La faim est donc une construction sociale et politique. Elle est le résultat de choix, d’abandons, de priorités mal placées.

L’assiette, champ de bataille invisible

Quand, par exemple, un sac de maïs double de prix à Kinshasa, ce n’est pas seulement une question de commerce. C’est un foyer qui bascule dans la faim. C’est une mère qui réduit les repas. C’est un enfant qui quitte l’école pour travailler. C’est une réalité que l’on a tendance à ignorer car on ne regarde pas les conséquences de ces actions sur les vies du plus grand nombre.

Quand une ville comme Bukavu est coupée de son aéroport, ce ne sont pas seulement les vols humanitaires qui s’arrêtent. Ce sont les médicaments qui manquent, les semences qui n’arrivent pas, les prix qui flambent, des foyers entiers qui dépendaient de tout ceci qui en souffrent en premier.

Quand un camp de déplacés est démantelé de force, ce n’est pas seulement une statistique. C’est une famille qui perd son abri et se retrouve sans terre, sans eau, sans revenus.

L’assiette devient alors un levier de pouvoir : elle nourrit ou elle détruit, elle stabilise ou elle précipite les révoltes. Les migrations, les guerres, les inégalités, tout finit par passer par la bouche

Ce que nous pouvons déjà faire

Il serait faux de croire que la souveraineté alimentaire est un horizon lointain. Des solutions existent, certaines à portée de main.

  1. Reprendre le contrôle de nos semences. Sans autonomie semencière, il n’y a pas d’agriculture souveraine. On ne peut préserver que ce que l’on a construit et maîtrisé. Cela implique d’investir dans la recherche locale, de soutenir les paysans, de protéger les semences traditionnelles.

  2. Investir dans l’eau et l’hygiène. Le rapport IPC le souligne : la crise alimentaire est aussi une crise sanitaire. Le choléra, la variole simienne (mpox) ou la dracunculose menacent les populations quand l’eau potable fait défaut. Un caniveau bouché, c’est une épidémie qui commence. L’hygiène publique n’est pas une option, c’est une stratégie nationale qui s’impose. La saison pluvieuse est venue, il ne faut pas attendre des morts pour se dire que l’on doit agir. Il y a eu assez de morts pour avertir les autorités locales sur le danger qui arrive.

  3. Constituer des réserves stratégiques. L’IPC recommande la mise en place d’une réserve d’urgence de céréales pour stabiliser les marchés et prévenir les famines. Sans cela, chaque flambée des prix devient une arme économique, chaque crise une tragédie évitable.

Ces mesures demandent des moyens certes. Mais elles demandent d’abord une volonté politique et une mobilisation citoyenne.

Grain de Pouvoir : un média, une mission

C’est sur la base de ce constat qu’a été fondé Grain de Pouvoir. Nous réunissons des experts issus de divers horizons, tous engagés dans l’étude de la vie et du bien-être, ainsi que des professionnels de terrain. Nous sommes convaincus que la compréhension approfondie de la terre constitue un levier essentiel pour agir sur les enjeux de demain et garantir un avenir durable pour tous.

Notre objectif n’est pas de faire du divertissement. C’est de relier, d’expliquer, de vulgariser et d’apporter la solution. De réveiller les consciences. De remettre l’assiette au centre du débat public. De bousculer les croyances, de faire comprendre les enjeux de notre époque, de rappeler les bases qui font le fondement de notre civilisation.

Car la souveraineté alimentaire ne commencera pas dans les palais présidentiels. Elle commencera dans nos assiettes, dans nos familles, dans nos marchés, dans nos champs.

Un appel

La RDC est à un carrefour. Soit nous continuons à importer notre pain, à subir les guerres et les prix. Soit nous décidons que l’alimentation est une question de souveraineté nationale et agissons de sorte que la famine soit éradiquée.

Grain de Pouvoir veut contribuer à cette prise de conscience. Par des articles, des podcasts, des vidéos, des débats. Pour que le grand public se sente concerné, pour que les décideurs n’aient plus d’excuses.

La souveraineté commence par un repas qui n’a pas peur.

Et ce n’est que le début.

Sources